De la Perfection Sculpturale à la Beauté Déconstruite
- Claude Gauthier
- 2 mars
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 6 mars
Je cherche à redéfinir ma création artistique en déconstruisant l'image pour la rapprocher du quotidien, vu par un filtre d’imperfection et de spontanéité, où les textures, les couleurs et les cadrages fragmentés révèlent une beauté plus organique.
Au cours des vingt dernières années, ma démarche artistique a suivi une évolution marquée par une exploration progressive du corps humain, de la lumière et de la déconstruction visuelle. Mon travail initial, profondément ancré dans l’esthétique classique, se concentrait sur la réalisation de portraits en studio inspirés des sculptures de la Grèce antique. Dans cette première phase, je cherchais à capturer la perfection visuelle en maîtrisant rigoureusement la lumière, la composition et la direction de ses modèles.

Influencé par l’harmonie et l’équilibre des formes sculpturales antiques, je façonnait mes images avec un souci du détail extrême, privilégiant des poses recherchées et des éclairages soigneusement contrôlés. Cette approche conférait à mes portraits une dimension intemporelle, où chaque modèle se présentait figé dans une posture idéalisée, presque divine. La maîtrise des ombres et des contrastes me permettait de mettre en valeur la structure des visages et des corps, renforçant ainsi l’effet de statues vivantes. Ce travail en studio, caractérisé par une esthétique épurée et symétrique, visait une quête de perfection à la fois technique et artistique.

Cependant, au fil des années, j'ai progressivement remis en question cette vision classique pour s’orienter vers une approche plus expérimentale et contemporaine. Dans ma récente collection "Corps et Matière, L'Étreinte de l'intemporel", je revisite mes propres œuvres en déconstruisant les principes qui structuraient mon travail initial. Il ne s’agit plus de capturer la beauté idéalisée d’un corps dans sa globalité, mais plutôt de proposer une lecture fragmentée et texturée de l’image.
Pour ce faire, j'utilise des couches de textures qui viennent altérer la pureté originelle de mes photographies. Ces textures, parfois subtiles, parfois plus marquées, introduisent une dimension tactile et organique, évoquant la patine du temps sur les sculptures anciennes ou la matérialité des fresques antiques érodées par les siècles. Le cadrage, autrefois centré et symétrique, devient plus serré, voire radical, enfermant certaines parties du corps dans des compositions abstraites et dynamiques.
Un élément clé de cette nouvelle direction est le traitement des couleurs. Plutôt que de s’en tenir à des tonalités naturelles ou monochromes, j'expérimente avec des jeux de superposition chromatique. Je crée ainsi des ambiances où les couleurs se mélangent et interagissent, ajoutant des niveaux de lecture multiples à ses images. Cette approche confère à mes œuvres une dimension plus subjective, où l’émotion prend le pas sur la simple représentation formelle.
L’un des aspects les plus radicaux de cette nouvelle phase réside dans mon choix de masquer ou d’exclure le visage des modèles. En effaçant ce repère essentiel d’identification, je libère l’image de toute personnalisation, permettant ainsi au spectateur de se projeter librement dans l’œuvre. Le corps devient un terrain d’exploration plastique où chaque fragment raconte une histoire propre, détachée de toute individualité spécifique. Cette démarche s’inscrit dans une volonté de transcender l’identité personnelle pour atteindre une forme d’universalité, où l’humain se fond dans la matière et la lumière.
Cette évolution artistique traduit une réflexion plus profonde sur la nature même de la photographie et son rapport au temps. Si, dans ses débuts, Claude Gauthier cherchait à immortaliser la perfection d’un instant figé, il semble désormais vouloir déconstruire cette fixité pour en révéler la fragilité et la transformation. À travers cette nouvelle esthétique, il questionne la mémoire de l’image, la façon dont elle se modifie et se réinvente au fil des années.
Ainsi, en revisitant ses propres archives photographiques sous un prisme plus abstrait et texturé, Gauthier propose une réflexion sur l’impermanence de la beauté. Il ne se contente plus de capturer la perfection, mais explore désormais les imperfections, les altérations et les métamorphoses, offrant ainsi une vision nouvelle et profondément contemporaine de son art. Les nouvelles œuvres déconstruites sont imprimées sur une variété de papiers texturés pour amplifier le traitement de l'image.
Par cette démarche, je cherche à rendre la beauté accessible plutôt qu’à créer une distance froide et élitiste. En donnant à mes images une apparence brouillonne et aléatoire, je les rapproche du réel et de l’expérience sensorielle du spectateur. Ce choix esthétique vise à abolir les barrières entre l’œuvre et son public, permettant à chacun d’y projeter ses propres émotions et interprétations. En acceptant l’imperfection et la transformation comme des composantes essentielles de la beauté, on découvre une nouvelle perception du sublime, plus humaine et spontanée.

En jouant avec la fragmentation et la déconstruction, j'invite à une lecture plus instinctive et moins intellectualisée de mes œuvres. Loin d’un esthétisme rigide et figé, mon travail s’ancre dans une dynamique où la photographie devient dynamique, imparfaite, évolutive. Je suggère ainsi une beauté plus inclusive, où les irrégularités, les traces et les accidents visuels deviennent des éléments constitutifs du sublime. Cette approche vise également à désacraliser l’art photographique en l’inscrivant dans un registre plus spontané, presque tactile, où la perception du spectateur fluctue en fonction de son propre vécu et de sa sensibilité.
En acceptant l’imperfection et la transformation comme des composantes essentielles de la beauté, j'invite l'observateur à une nouvelle perception du sublime, plus humaine et spontanée. Il ne s’agit plus de contempler une image parfaite et distante, mais de la ressentir pleinement, d’y plonger et d’y voir un reflet de notre propre existence, faite de contrastes, d’évolutions et de nuances. Par cette vision renouvelée, je cherche à réconcilier l’art et l’émotion brute, offrant une esthétique qui ne se contente plus de séduire l’œil, mais qui cherche avant tout à toucher l’âme.
La collection "Corps et Matière, L'Étreinte de l'intemporel" sera présentée
à Montréal au printemps 2025.
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