Les grands défis de l'intelligence artificielle
- Claude Gauthier
- 31 juil. 2024
- 6 min de lecture
Dernière mise à jour : 2 janv.

Portraits de la famille de Belamy
Edmond de Belamy et sa famille ont fait leur apparition avec grand fracas dans l’univers médiatique en 2018. Sous la forme d’un arbre généalogique, onze individus de la famille ont été officiellement présentés au moyen de peintures illustrant chacun des membres, peints selon leur rang de noblesse et leur époque.
L’évènement a retenu l’attention de la presse mondiale, non par l’originalité des portraits, ni par la notoriété ou l’influence de la famille au cours des siècles, mais pour une raison inusitée. Le portrait d’Edmond est créé à la manière de Rembrandt, le maitre incontesté du portrait. Il a été mis en vente par la Maison Chrisite’s au prix de 7,000 euro et a trouvé preneur au montant de $383,000 euro.

L’engouement autour de la famille de Balamy a enflammé les réseaux sociaux et les média. Cette réaction est compréhensible : la famille est une expression artistique unique entièrement créée par l’intelligence artificielle, l’une des premières manifestations crédibles de la capacité de création par l’intelligence artificielle dans le domaine artistique.
Les techniques de l’apprentissage profond ont été utilisées pour la création de la famille de Belamy. Le « Collectif Obvious » basé à Paris a entrepris d’analyser au moyen d’algorithmes plus de 15,000 peintures de différentes époques. Avec des ordinateurs alimentés de ces peintures, d’autres algorithmes ont généré des images originales donnant l’impression d’avoir été produites par un humain.
Edmond de Belamy n’était pas le premier

Plus tôt en 2016, un groupe de recherche basé à Amsterdam avait déjà publier un portrait entièrement compilé à partir d’une base de 168,263 fragments de peintures de Rembrandt analysés par des algorithme. Intitulé « The Next Rembrandt », ette peinture entièrement créé par l’IA a surpris le monde par la précision du rendu et la filiation à l’œuvre de Rembrandt. Déjà, le message était clair : l’intelligence artificielle offre des outils de création capables d’ouvrir des nouvelles frontières dans le domaine de la production artistique. Les critères utilisés pour générer « The Next Rembrandt » incluaient les contraintes suivantes : un format portrait avec visage tourné vers la droite, un modèle masculin caucasien avec des poils sur le visage, âgé de 30 à 40 ans, portant des vêtements sombres, un col et un chapeau. Sans prétendre avoir créé un nouveau Rembrandt, le résultat a pris par surprise les experts de l’histoire de l’art et a officiellement démontré la force de l’IA.
Même les experts s’y confondent
En avril 2023, le photographe allemand Boris Eldagsen a soumis une image au concours « 2023 Sony Wolrd Photography Awards / SWPA », dans la catégorie créativité, non sollicité. Son image était intitulée « The Electrician ». L’image représente 2 femmes côte à côte, utilisait un rendu photographique typique du style de la période du pictorialisme. Pour fin de référence, plus de 450,000 photos ont été soumises au concours.

C’est ainsi qu’Eldagsen a remporté le premier prix de créativité du concours. Mais cette image avait été créée de toute pièce par l’Intelligence Artificielle. Eldagsen n’avait pas cherché à tromper le jury : il avait intitulé la série d’où était tirée l’image « Pseudommesia », un terme latin qui signifie une fausse mémoire, une rencontre qui n’a jamais eu lieu, à l’opposée d’une mémoire altérée.
A titre de gagnant, Eldagsen a informé le jury que son image était une création inspirée du langage visuel tiré de la photographie, entièrement généré par l’IA et qu’il refusait le prix qu’il avait gagné. Il n’en fallait pas moins pour lancer une controverse et prétendre à la tromperie.
Néanmoins, c’est la première fois qu’une image générée par l’IA gagne un prix à un concours réputé, avec un jury d’experts, à leur insu. Plusieurs en ont tiré la conclusion que la génération d’image produit par l’IA avait fait officiellement son entrée dans l’univers artistique et que cette technique s’était imposée pour y rester : une œuvre originale utilisant le langage photographique crée sans l’aide d’une caméra.
On peut fort bien comprendre l’angoisse des futurs jurys de concours photographiques, d’avantage préoccupés à se poser la question si l’œuvre qu’on leur présente a été produite par le biais d’une caméra ou non. Cette hésitation se fera au détriment des qualités de créativité et d’originalité qui devraient guider un jury dans sa décision.
La porte est maintenant grande ouverte
Depuis cette date mémorable, l’intelligence artificielle ne cesse de prendre de l’ampleur dans le domaine de la création visuelle artistique. Dans le domaine du post-traitement photographique, les outils de travail sont monnaies courantes : ils sont devenus des incontournables, tant au niveau de la productivité du traitement que des aides à la création. Dans le domaine de la création d’images, on assiste à une évolution rapide d’images produites au moyen de commandes écrites, mais encore en mode de démarrage. On peut certainement penser que le plus impressionnant est encore à venir.
Pour illustrer la capacité de création de l’IA en ce moment (2023), voici une série de photographies originales (donc sans droits d’auteur attirés, autre que ceux potentiellement réclamés par celui qui diffuse ces images) crées de toute pièce par l’application Bing de Microsoft, avec la commande suivante : « montagnes avec ciel nuageux, rivière à l'avant plan, à la manière d'Ansel Adams ».
L’IA dans la production cinématographie
Des outils performants sont déjà bien implantés et utilisés par les équipes de production cinématographique. Mais depuis des années, l’usage le l’IA est devenue routinière pour les tournages, la production des effets spéciaux et le traitement de post-production.
Ces outils seront graduellement démocratisés et deviendront bientôt disponibles pour les équipes de production vidéo et les photographes.
Mais quelles sont les questions soulevées par les grands bouleversements engendrées par l’arrivée de ces technologies? Voila une question qui alimentera pendant des années encore l’industrie de la création d’imagerie visuelle.
Des considérations éthiques
La tendance accélérée vers l’utilisation de l’IA nous amène indubitablement sur le front de l’éthique des créateurs. Ces questions sont déjà apparentes dans le monde de la littérature. Le monde de la photographie y sera exposé de plein fouet.
On le sait tous, l’ordinateur et l’IA ne créent pas : ils génèrent des images ou offrent des traitements d’images en lien avec leur vaste base de données d’images intégrée avec leur capacité de traitement toujours croissante. C’est un mécanisme de compilation extraordinaire, et non de la création. Mais les résultats peuvent être à s’y méprendre.
La question des droits d’auteurs est à l’avant-plan des discussions. Chaque fragment enregistré dans les immenses mémoires des systèmes d’intelligence artificielle peut servir à produire une image soi-disant unique. Ce faisant, le processus peut enclencher une requête de contestation d’un ayant-droit prétendant que ses droits ont été usurpés.
La démarche associée à l’utilisation de l’IA remet en cause la notion de la beauté, la communication des émotions, des concepts essentiellement humains qui nous distingue. Depuis les tous débuts de la civilisation, l’humain aspire à communiquer la notion de la beauté, selon l’époque, les influences et la culture qui lui sont propres. A ce jour cette recherche créative est la motivation de chaque artiste qui cherche à partager la notion de la beauté. Il appert que l’IA devient un concurrent dans cette quête, et que la capacité d’apprendre rapidement des algorithmes pourrait rendre le processus intenable pour l’humain.
Le contrôle des faussaires sur la génération d’images est une source d’inquiétude qui peut nous amener à perdre de vue les grands principes de la démocratie. Si personne ne peut valider l’intégrité d’une information, il faudra prendre des décisions sur la base de nos croyances personnelles. Les groupes en mesure d’influencer l’opinion publique auront libre court pour déployer leur arsenal de plus en plus sophistiqué et trompeur. L’intégrité des photos produites par les photo-journalistes sera constamment remis en cause, car pour chaque journaliste intègre, des centaines de créateurs d’images sans scrupule seront en action dans le but de supporter une démarche de propagande.
Une illustration probante de cette tendance est la création d’un reportage photo imaginaire par le photojournaliste de réputation mondiale Michael Christopher Brown. A l’aide de Midjourney, il crée un pseudo reportage de 400 photos illustrant l’exode des Cubains vers la Floride durant la révolution comme si il avait été présent avec les réfugiés. Cette démarche venant d’un photojournaliste crédible a été fortement contestée, indiquant qu’une telle initiative ne peut qu’affecter négativement la crédibilité du journalisme.

Les défis que pose l’intelligence artificielle à notre société sont nouveaux et sans parallèle avec notre expérience historique. Bien malin celui qui peut prédire ce que les années à venir nous réserve dans le domaine de la création photographique.
Références
Is artificial intelligence set to become art’s next medium? Christie’s Photograph & Prints, Interview, Décembre 2018
A sign of things to come? AI-produced artwork sells for $433K, smashing expectations, CNN Octobre 2018.Allyssia Alleyne, CNN
New Rembrandt' to be unveiled in Amsterdam, The Guardian, Avril 2016
Artist Refuses Prize After His AI Image Wins at Top Photo Contest, PetaPixel, Avril 2023
Photojournalist Controversially Turns to AI to Illustrate ‘Inaccessible’ Stories PetaPixel, Matt Growcoot, Mai 2023.
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