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Réhabiliter l’imperfection

  • Claude Gauthier
  • 21 mai
  • 3 min de lecture

Réflexions sur un style photographique à l’ère de l’image parfaite



À une époque où l’intelligence artificielle bouleverse notre rapport à l’image, le photographe contemporain se retrouve confronté à une remise en question de ses outils, de son regard, et même de la valeur de son geste créatif. La photographie de portrait, en particulier, n’échappe pas à cette transformation : désormais, un visage peut être généré de toutes pièces, avec un réalisme troublant, une lumière irréprochable, une émotion calculée. Dans ce contexte, j’ai fait le choix d’un style photographique qui s’écarte des standards de perfection, pour explorer une voie plus sensible, plus ambigüe, et plus humaine. Ce style est le fruit d’une réflexion esthétique, mais aussi éthique : il vise à redonner à l’image son potentiel de questionnement, de symbolisation, et d’intimité silencieuse.


Le premier enjeu auquel je me confronte est celui de la concurrence directe avec les images produites par l’IA. La beauté parfaite, lisse, techniquement irréprochable, est désormais accessible d’un simple clic. Face à cette abondance visuelle artificielle, l’image photographique humaine ne peut se contenter d’être simplement « belle » : elle doit être signifiante. En intégrant l’imperfection, la matière, le flou, l’ombre ou l’ambiguïté dans mes portraits, je souligne la part organique et fragile de l’humain. Ce n’est pas une réaction nostalgique, mais une stratégie délibérée : brouiller les pistes de l’origine, rendre sensible ce qui est incarné, ce qui a réellement eu lieu dans le monde.


Un deuxième aspect de mon choix stylistique repose sur une prise en compte de la réception de l’image par le spectateur, et notamment par l’acheteur potentiel. Un portrait trop précis d’un visage inconnu, surtout dans le domaine de l’art visuel, peut devenir une présence encombrante dans un espace de vie. Il risque d’être perçu comme un « autre » qui s’impose, ou même comme une compétition inconsciente avec les photos de famille ou les souvenirs personnels. En travaillant des figures anonymes, effacées, stylisées ou symboliques, j’offre à l’image une ouverture interprétative. L’œuvre devient alors un espace de projection intime plutôt qu’un face-à-face avec une identité étrangère.


Ce choix esthétique m’amène également à déplacer l’attention du visage vers le corps comme espace d’expression. Le corps, par sa posture, sa tension, son intégration dans l’environnement, devient un langage. Il permet de suggérer des états intérieurs sans les nommer, d’évoquer des récits sans les illustrer. Cette approche rejoint une tradition artistique ancienne, où le corps n’était pas seulement objet de désir ou de beauté, mais support d’une pensée symbolique : une architecture mouvante qui révèle l’âme à travers le geste. Dans mes photographies, le corps n’est ni idéalisé ni sexualisé : il est traversé par des forces, par des silences, par des intensités qui appellent la lecture plutôt que la consommation.


Enfin, j’assume pleinement une esthétique de la distance. Mon style n’impose ni émotion directe ni narration explicite. Il installe une zone de flottement, une marge d’interprétation volontaire. Cette distance n’est pas froide : elle est propice à la contemplation. Elle permet au spectateur de s’approprier l’image, d’y inscrire ses propres ressentis, ses souvenirs, ses manques peut-être. En évitant le spectaculaire, en fuyant l’effet immédiat, je cherche à produire des œuvres qui se découvrent lentement, comme un poème dont le sens se dévoile au fil des lectures.


En conclusion, mon style photographique est une réponse, à la fois intime et critique, à un monde saturé d’images parfaites, immédiates, standardisées. Il se fonde sur une tension assumée entre visibilité et retrait, entre présence et absence. En cela, il cherche à redonner à la photographie sa vocation première : non pas seulement montrer, mais révéler. Révéler ce qui ne peut être dit, ce qui échappe aux algorithmes, ce qui résiste à la reproduction : une présence humaine, fragile et persistante.


Les images présentées dans cet essai sont tirées de la collection Corps et Matière, actuellement exposée à la Galerie Éclats 521, du 29 mai au 30 août 2025. La galerie est ouverte au public et accueille chaleureusement tous les visiteurs.

 

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